Dans la continuité des travaux sur la théorie des médias :
- Kittler, Le logiciel n’existe pas
- Vitali-Rosati, Larrue, Le media n’existe pas
On peut avancer que le document n’existe pas.
Le document défini en tant que document = support + inscription fige cet objet dans une forme de représentation donnée, lié à son contenu et oubliant les interactions nécessaires à son établissement.
En convoquant le posthumanisme, (Hayles etc), et la matière en tant que propriété émergente et non pas comme une propriété pré-existante à l’objet. La matérialité (Barad) pré-existe l’humain, ce n’est pas l’humain et les pratiques discursives, qui la font émerger (elles viennent s’y intégrer au même titre que les autres).
Le document (Briet, Otlet, Bachimont) est toujours situé dans un système d’informations : le document circule et porte des informations.
Pour circuler, notamment dans l’espace numérique, le document ne peut pas être immuable. L’équation précédente ne rend pas compte du fait que support et inscription sont variables, caractéristique héritée de la capacité de l’écriture numérique à changer d’état.
Défini ainsi, le document reste une appellation vague, parce qu’il change de forme constamment. C’est finalement un objet que l’on ne peut pas saisir et qui nous échappe.
Nécessité de compléter ces définitions par une autre approche, celle du document comme un réceptacle, un espace dans lequel se déroule des interactions entre des entités.
Marie-Anne Paveau, Barad et Hayles
Barad :
La matière n’est ni immuable ni passive. Elle n’a pas besoin du sceau d’une autorité extérieure, comme la culture ou l’histoire, pour être complète. La matière est toujours déjà une historicité incessante. - p.60 Voir Judith Butler Ces corps qui comptent.
La matière est un processus stabilisant et déstabilisant d’intra-activité itérative. - p.61
La matière correspond à la matérialité/matérialisation des phénomènes, et non à une propriété fixe et intrinsèque d’objets indépendants et abstraits. p.61
Les pratiques d’exclusion (ou de délimitation), c’est-à-dire les pratiques discursives, sont entièrement liées à l’intra-activité par laquelle les phénomènes en viennent à « avoir un sens » à mesure qu’ils se matérialisent. En d’autres termes, la matérialité est discursive – ce qui revient à dire que les phénomènes matériels sont inséparables des dispositifs qui les produisent – de la même manière que les pratiques discursives sont toujours déjà matérielles (c’est-à-dire qu’elles sont des (re)configurations matérielles du monde). - p.62
Les intra-actions sont des actions non déterministes – et pourtant causalement contraignantes – à travers laquelle la matière-en-devenir se sédimente et se déploie vers d’autres matérialisations. p. 63
la notion de médiation a longtemps fait obstacle à une prise en compte plus approfondie du monde empirique. La reconceptualisation de la matérialité proposée ici permet de prendre à nouveau le monde empirique au sérieux, à condition de ne pas chercher l’objet référent dans le caractère soi-disant «immédiatement donné » du monde, mais dans les phénomènes. p. 64
Une causalité existe dans ce système de réalisme agentiel (voir .67). La causalité s’exprime à travers une coupure agentielle (p.50) réalisée dans l’agencement global des interactions. La cause et l’effet s’explique par la mesure entreprise lors de la coupure agentielle. Il y a intra-action entre la coupure et l’appareil de mesure et produisent l’effet. La coupure opère une réduction de la totalité de l’intra-action pour ne produire qu’une seule mesure, une vision très réduite de l’objet.
Un deuxième appareil de mesure permettrait d’effectuer une coupure différente et obtenir un effet différent, complémentaire au premier mais toujours aussi restreint.
La coupure agentielle rejette une partie de la matérialisation pour n’en garder qu’une forme produite par l’agencement de l’appareil de mesure à l’intra-action. Elle pousse ce qui est à l’intérieur dans un extérieur (rejet/exclusion d’une partie). En sommes, nous dit Barad, l’extérieur est déjà à l’intérieur…
Exemple avec le document.
les intra-actions impliquent toujours des exclusions particulières ; et les exclusions interdisent toutes possibilités de déterminisme, offrant ainsi les conditions d’un avenir ouvert. Les intra-actions sont donc contraignantes mais non déterminantes.
La différenciation n’est pas simplement une question de coupure-qui-sépare mais aussi de coupure-qui-relie : couper c’est relier et séparer d’un même mouvement. La différenciation est une question d’intrication. Et les intrications ne sont pas des entrelacements d’entités distinctes mais des relations de responsabilité irréductibles. - p.146
Vicky Kirby, quantum anthropologies affirme que l’affirmation controversée de Derrida « Il n’y a rien en dehors du texte » doit être comprise comme « Il n’y a rien en dehors de la nature ». - p.148
Note pour le chapitre 3 : Identité flottante / mouvante (voir expérience de la gomme quantique p.136 Barad). On peut ajouter cette partie dans le chapitre 3 après les modèles textuels. Cette idée va de pair avec la question de l’effacement du modèle du document et du modèle textuel. On efface les traces de l’identité précédente. Le document a une identité numérique (voir def de l’identité numérique) qui n’est pas celle de la coupure agentielle puisqu’il ne s’agit que d’une représentation infime de l’objet. Selon la coupure effectuée, le document est soit JSOn, soit HTML, soit MD, soit etc..
L’écriture numérique est variable, reexpliquer le fonctionnement du disque dur, notamment du SSD.
Cette écriture et les différentes phases du document sont effacées au fur et à mesure que le document avance dans la chaîne éditoriale, les anciennes traces et les anciennes coupures agentielles sont remplacées par les nouvelles : la forme HTTP n’est inscrite nulle part lorsque je ferme les outils de développements du navigateur et elles seront remplacées par la nouvelle requête HTTP.
Cependant les écritures ne sont pas totalement effacées : les séquences de l’écriture numérique peuvent être rejouées à l’infini (même si certaines données vont évoluer au fil du temps). L’identité d’un document numérique n’est pas uniquement la somme des traces que l’on peut accumuler, ce qui correspondrait à la somme des coupures agentielles que l’on peut en faire, mais à la somme des entités/dynamiques qui produisent le document, en respectant leurs agencements.
Le document n’est pas pas figé dans une forme linéaire, si c’était le cas, le fait de rejouer la séquence d’une production documentaire donnerait inévitablement le même résultat à chaque fois. Retourner à un état antérieur du document et changer les interactions qui ont eu lieu (en insérant par exemple de nouveaux caractères ou en supprimant d’autres caractères) permet de produire de nouvelles formes du documents, nommées versions, comme le sont les différentes versions d’un logiciel. Autre cas de non linéarité de la chaîne éditoriale : WYSIPRINT, notamment depuis la PULL Request proposée par Yann Trividic (cf lien) qui permet de réaliser le chemin inverse en rendant le PDF interactif. En manipulant le générateur de PDF, Trividic bouleverse la conception du PDF immuable (qui ne l’était déjà plus), et propose un suivi des modifications apportées à l’intérieur du PDF jusque dans les sources.
Le document est un espace : lorsque l’on délimite un espace comme une feuille au format A4 en tant que document, que l’on y écrive seul, à plusieurs, avec une plume, un stylo, une machine à écrire ou autre, on délimite un espace. Cet espace est fini et les intra-actions s’agencent à l’intérieur de cet espace. La feuille A4 n’est en elle-même pas coupée du monde qui lui est extérieur. En définissant la feuille comme un espace, on la détache du monde, on réalise une coupure agentielle pour définir le document. L’intérieur de cet espace devient une bulle fermée et par le mpeme mouvement, on externalise le reste du monde. De cette manière, on réduit le document à un objet que ce soit un livre, un article, etc. À l’intérieur d’un ordinateur, la coupure agentielle prend la forme d’un espace physique dans la mémoire de l’ordinateur.