La publication scientifique est un espace

Notes pour le billet :


Introduction


Le terme publication scientifique désigne un ensemble d’artefacts caractéristiques de la communication et de la diffusion des travaux menés par les acteurs de la recherche. Parmi ces artefacts, les plus communs sont les ouvrages collectifs, les monographies, les revues, les actes liés à des événements scientifiques (colloque, journée d’étude, etc.), les thèses, les mémoires ou encore des objets plus variés comme ceux produits en recherche-création. Malgré le fait que leurs propriétés soient différentes, ces artefacts partagent tous une particularité qui nous permet de les regrouper dans cette catégorie. Les publications scientifiques regroupent une diversité d’artefacts parce qu’elles font l’objet d’un traitement propre à cette catégorie : la relecture par les pairs. Pour une chaîne éditoriale plus classique, lorsqu’un texte a été commandé ou sélectionné, la chaîne éditoriale consiste en plusieurs allers et retours dans le manuscrit pour effectuer des corrections orthotypographiques et des reformulations, puis vient la mise en page du texte, ensuite vient à nouveau une relecture pour valider la maquette avant l’envoi du bon à tirer à l’imprimeur. Tandis que dans une chaîne éditoriale scientifique, une étape supplémentaire, la relecture par les pairs, est intercalée entre l’envoi du manuscrit par l’auteur et les échanges orthotypographiques avec l’éditeur. La relecture par les pairs est une condition sine qua non de la publication scientifique puisque c’est à cette étape qu’est validée la qualité scientifique du manuscrit. La validation n’est pas une simple acceptation ou non du texte. Les relecteurs agissent sur le texte, notamment au moyen d’une évaluation rigoureuse comprenant des commentaires, des annotations et, si nécessaire, des propositions d’amélioration du contenu. Selon l’évaluation des relecteurs, si le texte est accepté avec des modifications majeures ou mineures, l’auteur peut en conséquence y apporter des modifications. C’est un fait remarquable puisque, pour cette catégorie d’objets, contrairement à d’autres catégories caractérisées par leur medium et/ou par le genre littéraire du contenu textuel, les artefacts scientifiques ne sont pas catégorisés selon une composante qui permettrait de décrire le type d’artefact dont il s’agit mais le sont d’une part par un gage de qualité du contenu qui a été validé par les pairs en amont de la publication et d’autres parts, le sont par une forme de reconnaissance sociale puisque cet artefact publié sera probablement repris et/ou cité par d’autres membres de la communauté concernée dans la grande conversation scientifique (guedon?). Pour le dire autrement, un document écrit et publié par un chercheur ne relève pas de la catégorie publication scientifique dès lors qu’il n’est pas relu et validé par les pairs. Cette définition n’est pas forcément unanime et partagée par toute la communauté scientifique, mais elle définie notre objet d’étude et écarte tous autres types d’écrits savants tels que les billets de blog, les carnets de recherche, les publications sur les réseaux sociaux, les courriels sur les listes de diffusion, etc.


Une autre facette de ces artefacts nous permettrait de tous les désigner sans avoir à définir leurs propriétés de manière exhaustive : il s’agit de la notion de document. Un livre pourrait être désigné par son format, le type de reliure employée ou le type de papier qui le compose, il en va tout autant pour les revues et les autres objets, d’autant plus si l’on doit prendre en considération leur pendant numérique, sans qu’on puisse jamais tous les décrire et les circonscrire complètement dans une forme déterminée. Le terme de document, quant à lui, a cette particularité d’être un peu vague et un peu flou. Il a quelque chose qui tient du mot-valise et du fourre-tout. Il désigne tour à tour des livres, des papiers administratifs, des papiers médicaux, des fichiers numériques, des revues, des cartes postales, des antilopes (certaines seulement), des images ou des objets selon le contexte dans lequel ils sont exposés, etc. C’est un mot que l’on utilise au quotidien et grâce auquel on peut désigner tout un ensemble de choses sans pour autant s’encombrer d’une définition précise du terme document. Un document, dans son sens le plus large et le plus simple, est défini par l’équation suivante (Otlet, 2015, p. 13; Pédauque, 2003, 2006) :

Document = Support + Inscription

Cette brève définition nous permet de distinguer le texte (ici compris comme l’inscription) de son support et de l’ensemble qu’ils forment : le document. Parfois, le texte et le document, par abus de langage, sont considérés en tant que synonymes, alors que dans cette recherche ils renvoient bien à deux éléments distincts. Généralement, le texte et les théories qui s’y rapportent fondent leur épistémologie autour du signe (barthes?). Lorsqu’il s’agit d’étudier un texte, que l’on vienne de la sémiologie, de la philologie ou de la génétique des textes, ce sont les unités sémiotiques, les mots et autres agencements de signes qui constituent l’objet étudié. En excluant le support, cette perspective ne permet pas de rendre compte de ce que pourrait être une épistémologie du document. Des travaux de recherche, notamment en sciences de l’information et de la communication comme ceux menés par le collectif Roger T. Pédauque (2006), proposent en ce sens des fondements théoriques pour penser à la fois l’inscription et le support dans ce qui devient une épistémologie du document.

Afin nous proposons dans ce premier chapitre de la thèse d’aborder le document sous deux prismes. Le premier prisme est historique. Pour traiter de la place du document dans les chaînes de publication savante, surtout si ce sont des environnements numériques, il nous semble primordial d’explorer avant tout une tradition du document dans les pratiques d’écriture érudites, savantes et scientifiques. Le document numérique et le fonctionnement des publications scientifiques s’inscrit dans dans un long héritage des pratiques d’écriture ainsi que de l’édition. Nous en dressons les grandes lignes depuis l’époque hellénistique, principalement depuis l’école stoïcienne, jusqu’à nos jours, en nous attardant sur la production des documents en environnement numérique. L’objectif de cette partie est de montrer que le document, quelles que soient les époques, est un élément fondamental de la production des connaissances de part la dimension sociale qu’il constitue en tant que médium. Des lettres de Sénèque à Lucilius, en passant par les textes de Saint-Augustin, de Descartes, jusqu’aux dispositifs numériques que nous employons aujourd’hui, chaque exemple choisi montre un accès différent à l’autre social parce que le medium employé est lui aussi différent.

Pour approfondir l’enjeu autour de ces médiations, la deuxième partie de ce chapitre traite le document depuis la théorie des médias, avec l’école de Toronto depuis McLuhan pour point de départ, puis les travaux inscrits dans cet héritage matérialiste ensuite dans ce courant jusqu’au nouveau matérialisme (barad?). Le document traverse ainsi différentes perspectives déterministes, puis non déterminites…

Le terme de document a connu deux périodes d’instabilité majeure au cours des dernières générations. Ces crises, identifiées au début du XXIe siècle, correspondent à deux phénomènes nommés documentarisation et redocumentarisation (Pédauque, 2006; pedauque_redocumentarisation_2007_?). La première remonte à la transition entre la Bibliographie et la Documentation au début du XXe siècle, tandis que la seconde est plus récente puisqu’elle correspond à l’expansion du numérique et d’Internet un peu partout autour du Globe. Durant …

Revoir le document à travers la théorie des médias nous permettra de nous détacher du langage et de sa dimension anthropocentrée pour mettre en lumière d’autres propriétés qui le caractérisent jusqu’alors laissées de côté … (détailler)

Historique des publications savantes

À l’instar de Barthes pour qui la centralité du signe dans le texte remonte à l’époque des stoïciens, nous proposons d’introduire le lien entre pratique d’écriture et érudition à partir des travaux de Pierre Hadot sur la philosophie antique.

Dans son ouvrage Exercices spirituels et philosophie antique, P. Hadot décrit ce qu’était la philosophie antique durant l’apogée de la civilisation grecque que l’on peut situer à partir de la période des présocratiques (environ 700 av. JC) jusqu’à la fin de la période hellénistique (31 av. JC.). Durant cette période, la philosophie n’était pas seulement un exercice de pensée pour répondre aux questions sur l’existence de l’être et son rapport au monde, mais était un mode de vie qui se pratiquait au quotidien. Elle était pratiquée par celles et ceux qui aimait et désirait la Sagesse. L’objectif n’était pas d’atteindre cette sagesse, car elle est l’apanage des dieux, mais d’en frayer la voie pour s’en rapprocher. Les philosophes de l’antiquité, à la différence de leurs contemporains spécialistes du savoir, les sophistes, modifiaient ainsi leur façon de vivre et l’accordaient à un système de valeurs vertueuses aligné sur les préceptes de l’école ou du courant philosophique auquel ils étaient rattachés. La philosophie pratiquée par les anciens était plus qu’un mode de pensée, elle était une « manière d’être » (Hadot, 2002, p. 77). Afin de parcourir ce chemin vertueux, les différentes écoles et courants ont mis au point des séries d’exercices spirituels que le philosophe pratiquait au quotidien.

L’étymologie de ces exercices est strictement identique à celle de l’ascèse chrétienne : askesis. Les deux termes ont une origine commune mais une signification bien différente. À ce propos, P. Hadot nous met en garde quant à la confusion possible entre ces deux askesis. L’askesis chrétienne se rapproche de la définition contemporaine du terme, c’est-à-dire de l’abstinence ou de la restriction de nourriture, de boisson, de relation sexuelle, etc. ; alors que l’askesis grecque ne renvoie qu’aux exercices spirituels que nous avons mentionnés, qualifiés comme étant « une activité intérieure de la pensée et de la volonté » (Hadot, 2002, p. 78). La philosophie antique, à travers l’askesis, agit comme une « thérapeutique des passions » (Hadot, 2002, p. 22). Une pratique assidue permet de se dépouiller de ces dernières et d’opérer une objectivation du monde débarassée des perceptions subjectives et des affects. « L’intériorisation [réalisée à travers cette vie ascétique] est dépassement de soi et universalisation » (Hadot, 2002, p. 330), notamment chez les épicuriens et les stoïciens. En somme, lorsque le philosophe entreprend son parcours, il en vient à se détacher de sa condition humaine et, par un mouvement d’extériorisation, développe une « nouvelle manière d’être-au-monde […] qui consiste a prendre conscience de soi comme partie de la Nature » (Hadot, 2002, p. 330).

P. Hadot propose également une liste de ces exercices parmi lesquels on y trouve : la recherche (zetesis), l’examen approfondi (skepsis), la lecture, l’audition (akroasis), l’attention (prosochè), la maîtrise de soi (enkrateia), l’indifférence aux choses indifférentes, les méditations (meletai), les thérapies des passions, le souvenir de ce qui est bien, l’accomplissement des devoirs (Hadot, 2002, p. 26). L’auteur accorde une valeur particulière à l’examen de conscience que suppose l’attention à soi (prosochè). Il s’agit d’un exercice à réaliser quotidiennement, voire même plusieurs fois par journée. Le philosophe prend du recul sur ses actes passés, soit une distance critique vis-à-vis de sa manière d’être qu’il confronte au système de valeurs auquel il prétend appartenir. Une des méthodes pour réaliser cet exercice est l’écriture de soi. Le philosophe couche par écrit les actions effectuées durant une période précise, il s’y raconte. C’est ce que fait Marc-Aurèle dans les Pensées pour moi-même (Hadot, 2002, p. 149).

[ajouter quelques lignes sur Marc-Aurèle]

En faisant un anachronisme, cette pratique de l’écriture de soi pourrait aisément être confondue avec une écriture diaristique ou se rapprocher du récit autobiographique. Ce qui est également le cas avec Les Confessions de Rousseau ou les Méditations de Descartes. Elles peuvent effectivement être lues comme un récit autobiographique ou alors comme la réalisation d’une askesis où l’auteur utilise l’écriture pour exercer une tension entre un récit de lui-même et des réflexions philosophiques. Le succès de cette méthode qu’est l’écriture perdure pendant plusieurs siècles comme en témoigne les écrits d’Athanase d’Alexandrie dans la Vie d’Antoine vers l’an 360 (soit environ 40 ans avant les Confessions d’Augustin). P. Hadot en cite le passage suivant (Hadot, 2002, p. 90) :

Que chacun note par écrit, conseille Antoine, les actions et les mouvements de son âme, comme s’il devait les faire connaître aux autres. En effet, poursuit-il, nous n’oserions certainement pas commettre des fautes en public, devant les autres. Que l’écriture tienne donc la place de l’oeil d’autrui.

Ainsi, l’examen de conscience, dont la finalité est la maîtrise de soi, peut être réalisé par une série d’étapes dont la première est l’introspection qui est accomplie grâce à une mise en récit de soi via un medium, l’écriture, et génère alors une deuxième étape, celle de l’extériorisation de soi. L’écriture dépasse la simple condition de support / outils grâce auquel une information peut être transmise et devient la condition sine qua non de l’accès à l’autre.

À titre d’exemple, un passage de la lettre [nombre] de Sénèque à Lucilius contient ceci : « Sans doute l’homme devrait toujours se conduire comme s’il avait des témoins, toujours penser comme si quelqu’un pouvait lire au fond de son coeur ». Exception faite pour l’écriture, la méthode que propose Sénèque est très similaire à celle de Saint-Antoine, et s’incarne à travers la lettre qu’il envoie à Lucilius en tant que medium.

Sénèque nous indique dès le début de la lettre qu’il s’agit de l’exercice de l’examen de soi : « Je vais donc me mettre à m’observer, et, pour plus de sûreté, je ferai le soir la revue de ma journée. » Si nous considérons qu’il s’agit bien là de la réalisation d’un exercice spirituel, et en sachant que Sénèque est un philosophe de l’école stoïcienne, nous pouvons en déduire que cette lettre comporte finalement un double enjeu. Le premier est explicite : Sénèque fait une démonstration à Lucilius comme un maître peut le faire avec son élève. Le second est la réalisation de l’exercice pour Sénèque lui-même. En réalisant cet exercice dans le cadre d’une leçon qu’il dispense, Sénèque en profite pour appliquer cette méthode et écrire son examen de conscience qu’il va pouvoir livrer à Lucilius qui, en l’occurrence, incarne l’autre. La conjugaison au futur employée dans la lettre donne à penser que Sénèque prémédite les actions et mouvements qu’il va réaliser dans la journée. Il fait en sorte que ses actions soient vertueuses pour qu’il n’y ait rien dont il puisse avoir honte car il sait que Lucilius sera témoin de son récit.

L’exemple de la lettre de Sénèque à Lucilius permet de faire émerger la dimension sociale du document, en tant que dépassement de ce que J-M. Salaün caractérise par les aspects intime et éphémère que peut revêtir l’écriture dans son environnement documentaire (inscription + support) (2004).

L’exercice philosophique nécessite en ce sens un medium, dans ce cas-ci l’écriture d’un document, pour ajouter un mouvement d’extériorisation à une première dynamique introspective. Le philosophe créé un document contenant un récit de lui-même afin de mobiliser l’autre et se donner à voir, pour mettre en évidence ce qui lui est intérieur.

Néanmoins, il ne s’agit pas uniquement de se livrer à autrui, d’ailleurs ce n’est pas le regard que l’autre peut porter sur soi qui importe. Qu’il s’agisse de Sénèque ou d’Antoine, leur méthode convoque un autre qui est soit « public », soit « témoin ». L’autre ainsi convoqué dans ce mouvement d’extériorisation est avant tout un autre social et politique. Finalement, le philosophe se doit d’être irréprochable, sa conduite doit correspondre à l’image attendu d’un philosophe dans l’école mais aussi et surtout dans la cité (grecque). Il ne dépend pas du regard que peuvent porter les citoyens sur lui, mais plutôt d’un système de valeurs qui le détermine en tant que philosophe. La question de la maîtrise de soi et de l’examen de conscience est donc fondamentalement éthique et sociale. Ainsi, le philosophe se réalise entre autre au travers d’un espace, le document, dont la fonction principale est de reccueillir et de matérialiser les médiations permettant l’émergence du philosophe. En ce sens, le philosophe ne pré-existe pas le document mais en devient le produit.

P. Hadot nous signale également que cette tradition de l’exercice philosophique a perduré sous d’autres formes jusqu’à nos jours, d’abord reprise par les chrétiens comme en témoigne les écrits de Saint-Antoine, Saint-Augustin ou encore Thomas d’Aquin puis reprise par des philosophes tels que Descartes et Rousseau que nous avons nommé précédemment et enfin certains philosophes contemporains à l’image de Foucault (hadot__?).

Au-delà du lien émis entre les philosophes de chaque époque, P. Hadot met en évidence l’apport épistémologique de l’héritage grec dans notre acception contemporaine des sciences humaines (hadot__?, p.). Cet héritage se traduit en partie par la présence de documents circulant entre les pairs de cette sphère savante mais aussi dans l’espace public. Ces documents peuvent être englobés sous le terme de publication scientifique.

L’histoire des publications scientifiques remonte à l’apparition de plusieurs dispositifs de transmission des informations : voie postale + imprimerie

Conclusion : la tradition de l’écriture et de la circulation des documents, malgré les différents types de support employés, met en évidence l’importance du document, en tant que medium dans cette pratique …

Le document numérique au prisme de la théorie des médias

  1. Définir le document (faire un bref point de présentation de Pédauque)

Le document est un objet délicat à définir tant il revêt des formes différentes. C’est certainement lié au fait que l’emploi du terme document désigne une multitude d’objets que nous manipulons au quotidien dans différents lieux et espaces sociaux, que ce soit sur le lieu de travail, à l’école ou à l’université, dans des administrations publiques ou encore chez soi. Un document peut très bien prendre l’apparence d’un formulaire administratif laissé sur le coin d’un bureau ou un livre bien ordonné sur une étagère d’une bibliothèque ou encore une photographie stockée dans les locaux des Archives nationales. La notion de document est finalement un terme très générique que l’on a du mal à circonscrire du fait qu’il puisse désigner autant d’objets divers.

D’un point de vue étymologique, le Gaffiot nous indique que documentum signifie « exemple, modèle, leçon, enseignement, démonstration », définition qui ne fait pas forcément référence à un support de l’information alors que dans son acception plus contemporaine l’on désigne un document par celui-ci.

Les travaux de Paul Otlet

  1. Livre (Biblion ou Document ou Gramme) est le terme conventionnel employé ici pour exprimer toute espèce de documents. Il comprend non seulement le livre proprement dit, manuscrit ou imprimé, mais les revues, les journaux, les écrits et reproductions graphiques de toute espèce, dessins, gravures, cartes schémas, diagrammes, photographies, etc. La Documentation au sens large du terme comprend : Livre, éléments servant à indiquer ou reproduire une pensée envisagée sous n’importe quelle forme.
  2. Le Livre ainsi entendu présente un double aspect : a) il est au premier chef une oeuvre de l’homme, le résultat de son travail intellectuel ; b) mais, multiplié à de nombreux exemplaires, il se présente aussi comme l’un des multiples objets créés par la civilisation et susceptible d’agir sur elle ; c’est le propre de tout objet ayant caractère corporel et agencé techniquement.
  • (Otlet, 2015, p. 9)
  1. Qu’est-ce qui dans le Livre lui est propre, qu’est-ce qui est proprement bibliographique ? On a déjà dit la distinction entre : a) la Réalité objective, b) la Pensée subjective ou l’état de conscience provoqué ou le moi par la réalité, c) la Pensée objective qui est l’effort de la réflexion combinée et collective sur ces données premières jusqu’à la science impersonnelle et totale, d) la Langue, instrument collectif de l’expression de la Pensée. Collection totale, tout livre contient ces quatre éléments associés concrètement en lui-même et que, par abstraction seulement, il est possible de dissocier et d’étudier à part. Ce qui est propre au livre, c’est le cinquième élément : la pensée désormais fixée par l’écriture des mots ou l’image des choses, signes visibles, fixés sur un support matériel.
  • (Otlet, 2015, p. 10)

Le définition la plus générale qu’on puisse donner du Livre et du Document est celle-ci : un support d’une certaine matière et dimension, éventuellement certain pliage ou enroulement sur lequel sont portés des signes représentatifs de certaines données intellectuelles. - (Otlet, 2015, p. 43)

Les travaux de Suzanne Briet (avec l’Antilope) - selon la typologie de Briet, les publications scientifiques sont des documents secondaires (par rapport à l’objet dont elles traitent qui sont le document principal).

Donker Duyvis :

A document is the repository of an expressed thought. Consequently its contents have a spiritual character. The danger that blunt unification of the outer form exercises a repercussion on the contents in making the latter characterless and impersonal, is not illusory…. In standardizing the form and layout of documents it is necessary to restrict this activity to that which does not affect the spiritual contents and which serves to remove a really irrational variety. (Donker Duyvis, 1942. Translation from Voorhoeve, 1964, 48)

Note : Nous ne sommes pas d’accord avec cette proposition !! Outre-Atlantique, Buckland (1997) défini le document à partir de la documentation et des travaux de Paul Otlet et de Suzanne Briet du début du 20e siècle. La documentation serait comprise comme un ensemble d’informations – communément appelés documents – et un système d’organisation et de recherche des connaissances à l’intérieur de ce jeu d’informations.

Le collectif Roger T. Pédauque Revenir sur le phénomène de documentarisation fin 19e et début 20e. Puis redocumentarisation à l’aube du 21e s.

Le document peut-être appréhendé sous différents prismes, Pédauque (2006) nous en offre trois :

Les travaux de la document academy

  1. Définir le document numérique (pour Pedauque, = donnees + structure avec un devenir du type document XML = donnees structurees + mise en forme (= dissociation mise en page de la structure qui elle est réalisée par du XSL et pas XML (Pedauque + Le Crosnier + infocom)
  2. Histoire des langages de balisages (depuis SGML) et usage dans les chaînes éditoriales scientifiques (avec en fin l’exemple du schema XML-TEI COMMONS + Sens public en Markdown + ekdosis (attention LaTeX est à la fois un système de balisage et un système de commandes)
  3. Considérer ce document comme un medium
    • Rappel McLuhan sur le fait que le medium = le message : il n’y a pas de medium mais que des médiations
    • C’est également la proposition de Kittler, à développer
    • Repris par l’éditorialisation (Merzeau + Vitali-Rosati). Faire un point sur editorialisation dans les courants francophones depuis Pédauque.
    • ajouter dans cette partie (après rappel theorie des medias) que document numerique = donnees + structures + support (là où le support disparait chez Pedauque, la theorie des medias nous permet de penser le support du numérique comme composante du document numérique : hardware + software. Exemple de document qui ne sont plus lisibles du fait de la non retrocompatibilité ou des licences propriétaires. Autre exemple très important, le support détermine ce que l’on peut faire ou non dans un document, ce qui change drastiquement la façon dont le document sera composé.)
    • désaccord avec Pédauque (sujet qui faisait deja discorde entre les chercheurs participant à Pédauque) sur le fait que la dimension publique est une composante fondamentale d’un document, sans elle il ne s’agit pas d’un document (ça c’est la vision de document = medium = social). Or il s’agit plutôt de signifier que sans médiation il ne s’agit pas d’un document. À quoi limite-t-on les médiations ? Si c’est aux acteurs uniquement humains et en capacité de lire/écrire alors le document est circonscrit à un cercle très privé d’individus. En se positionnant du côté du nouveau matérialisme …
    • on peut ajouter un exemple sur la durée de vie très courte de certains documents qui deviennent inaccessibles si non maintenus comme c’est le cas de la bibliographie de Pedauque qui n’est plus accessible, même sur internet archive

Conclusion

Pour définir le document comme pièce centrale de la publication scientfique, nous nous sommes appuyés sur la théorie des médias et plus particulièrement sur le courant matérialiste fondé par l’école de Toronto depuis McLuhan, puis repris par Kittler dans les années 1970 en Allemagne, puis par la médiologie en France et notamment par Louise Merzeau. Chez L. Merzeau, nous retrouvons également une affiliation avec la pensée kittlérienne, principalement dans son approche [déterministe/essentialiste]… sur lesquelles reposent ses recherches.

Ajouter un mot sur la limite de ce que cette pensée fait au document…

Pour dépasser cette position, L. Merzeau s’est tournée vers les sciences de l’information et de la communication (SIC) et a développé ses recherches autour de la notion d’éditorialisation, à la fois depuis le courant francophone provenant des SIC depuis Bachimont (Bachimont, Broudoux) + redocumentarisation (Zacklad) et à la fois depuis le courant qui se développait au Québec par M. Vitali-Rosati, plus proche des sciences humaines et de l’intermédialité montréalaise, un autre courant historique de la théorie des médias où s’y est développé depuis les lettres et les arts une approche de la relation entre les médias (Tadier, Méchoulan).

Malgré le fait que L. Merzeau n’ait pas pu achever ses travaux, elle abouti à une théorie du commun dans lequel le document pourrait ….

D’autres travaux plus récents sur l’éditorialisation (Vitali-Rosati), propose également une autre forme de dépassement de cette posture essentialiste par la mobilisation de théories provenant du courant posthumaniste (Hayles, Barad) …

En revenant à la dimension sociale que Pédauque attache au document en tant que medium, et aux conditions de lecture / écriture de ces documents, il est nécessaire d’ajouter à cette définition la prise en compte de l’environnement numérique pour qu’une communauté puisse accéder à ce document. Cet environnement ne doit pas être réduit à une simple couche logicielle permettant d’accéder au document, mais doit prendre en considération la totalité des protocoles, des formats, des règles et normes qui déterminent les possibilités d’établissement d’un document.

Toutefois, cette proposition pourrait rencontrer une limite selon la taille de la sphère sociale concernée par un document, car elle sous-entendrait une préconisation pour un environnement numérique et unique identique pour toutes les personnes concernées. Au contraire, le modèle de représentation numérique défendue dans cette thèse, à l’instar de la thèse de l’ouvrage L’Éloge du bug (vitali-rosati_eloge_2024?) doit être pluriel.

Proposition de définition du document : le document est un espace délimité et figé à un instant donné regroupant des traces et des indices organisés qui puissent être lues (au sens de la lecture humaine) ou interprétées (au sens de l’interprétation non-humaine, une autre entité). Ce changement de paradigme permet de sortir d’une vision anthropocentrée du document où le langage serait le maître mot (selon le paradigme de représentation) au profit d’une forme de performativité du document dans son environnement, et de toute la matérialité qui le constitue. De ce fait, chaque entité impliqué dans cet écosystème peut être amenée à agir dans et/ou avec le document (au sens d’une interprétation suivie d’une action).

Hadot, P. (2002). Exercices spirituels et philosophie antique (Nouv éd rev. et augm édition). Albin Michel.
Otlet, P. (2015). Le livre sur le livre: Traité de documentation. Les Impressions nouvelles.
Pédauque, R. T. (2003). Document : Forme, Signe et Médium, Les Re-Formulations Du Numérique.
Pédauque, R. T. (2006). Le document à la lumière du numérique. C&F éditions.
Salaün, J.-M. (2004). Chronique inachevée d’une réflexion collective sur le document. Communication et langages, 140(1), 9‑17. https://doi.org/10.3406/colan.2004.3263